Discours mental, imputation et élaboration

et les quatre yogas du Mahāmoudra

en la Vue sahaja

Par Lama Shérab Namdreul

 

 

Voir également : conjonction du Sahaja et du Mahamoudra

 

Sahaja

Je rappelle ici le postulat de base de la Vue sahaja en trois co-émergences.

 

« Apparence et vide co-émergent

Science et vide co-émergent

Au contact d’apparence et science

L’expérience est félicité/vide. »

 

Avant de commencer, je propose qu’on ne se formalise pas trop sur l’idée qu’il y aurait une graduation incontournable sur le chemin de la méditation et qu’il faudrait obtenir des signes spécifiques pour envisager d’avancer.

La compréhension de la Vue sahaja (tib. lhèn tchik kyé pa), la co-émergence, est essentielle pour que nous puissions, sur ce chemin qui semblerait longitudinal et graduel, envisager une voie transversale ou verticale comme des raccourcis qui pré-sageraient un accès direct à l’Éveil.

Cette vue de la co-émergence est la vue qui permet d’accélérer la reconnaissance de la nature du phénomène[1] (sct. dharma) et de l’esprit (sct. citta). Ainsi, dès le postulat de base où l’on affirme que l’ignorance de la nature de l’esprit est la cause des causes[2] qui conditionne d’illusions notre devenir existentiel, la Vue sahaja affirme tout aussitôt la co-émergence de "ignorance et gnose". Le concept de co-émergence empêche toute réification possible aussi bien pour l’ignorance que pour la gnose. Il n’y a pas quelque chose comme étant « ignorance » ni comme étant « gnose ».

Co-émergence fait cas d’une nature dynamique[3] incessante en l’occurrence cognitive mais on peut l’étendre à toutes les natures d’ordres divers comme par exemple : végétal, matériel, génétique, biologique, etc. En fin de compte, la co-émergence nous invite à l’observation d’un espace dynamique où aucun temps n’est possible pour un état quelconque : l’état d’un phénomène, l’état d’une sensation, d’une perception, d’un facteur mental ou un état de conscience.

Toutes les co-émergences font suite à ce postulat de base. Par exemple dans l’affirmation « forme et vide co-émergent », la Vue sahaja affirme qu’à l’instant où les conditions adventices et artificielles qui voilent la nature de la forme se dissipent, la forme se présente en sa nature de forme, c’est-à-dire un phénomène conçu. De même pour l’agrégat suivant : une fois la sensation vide des conditionnements dues à l’ignorance, la sensation se présente en sa nature de sensation et ainsi de même pour les autres agrégats. Sans l’ignorance, les cinq processus cognitifs[4] (les agrégats) fonctionneraient en toute simplicité et nous pourrions jouir des six facultés sensorielles en toute intelligence[5].

Ce ne sont pas des méthodes en tant que telles qui peuvent accélérer notre cheminement. Il n’y a pas de méthodes habiles mais on doit user d’habileté dans l’application d’une méthode. Cette habileté qui accélère l’accomplissement du fruit est la compréhension puis la contemplation de la co-émergence naturelle en tout avènement cognitif.

Le concept de vacuité (absence de réalité) peut être compris en co-émergence avec tout, ainsi : « phénomène/vacuité », « connaissance/vacuité », « clarté/vacuité », « félicité/vacuité », « compassion/vacuité », « vacuité/vacuité », « nirvana/vacuité » mais aussi « colère/vacuité », désir/vacuité », « samsara/vacuité », nirvana/vacuité etc.

La question est de savoir ce qu’on entend par : 1) "vacuité", et par : 2) « co-émergence au vide".

1) Ce qu’on entend par vacuité c’est principalement[6] l’absence de réalité, d’existence intrinsèque et absolue, et cette absence de réalité vaut également pour la notion de vacuité qui peut être elle-même réifiée, réduite à quelque chose.

2) Maintenant, ce qu’on entend par "co-émergence au vide" est plus délicat.

Prenons l’expression « la vacuité du phénomène » que l’on rencontre souvent et qu’il m’arrive moi-même d’employer encore par habitude. Cette expression risque de suggérer qu’il faudrait trouver une absence de réalité en le phénomène, une vacuité qui participerait du phénomène lui-même. Comment peut-on espérer trouver quelque chose qui se définit par son absence ? De plus, il faudrait voir au préalable le phénomène pour ensuite le voir vide de réalité. Cela est impossible, le phénomène est comme tel un phénomène[7], une apparence mentale imagé, relative et manifeste sans qu’aucune caractérité, telle que réel ou illusoire, ne puisse lui être attribuée.

Il s’agit de bien comprendre de quoi le phénomène est-il vide ? Sous l’effet de l’ignorance, l’objet mental n’est pas reconnu comme étant de nature phénoménale parce que la soif, dont la fonction est de satisfaire le "sujet" (tib. yul tchèn) d’une identité, se charge d’imputer à l’objet une réalité qui se présente alors comme altérité. Ce n’est donc pas le phénomène-même (sct. dharmata) que la conscience appréhende mais "quelque chose"[8] (lat. res) que l’on tient pour réelle par le biais de la saisie exécutant une imputation[9]  (sct. vikalpa, tib. nam-tok).

Alors ! de quoi le phénomène est-il vide ? Il est vide d’une réalité que la saisie lui impute (sct. vikalpa). Il suffit alors que s’opère une « cessation d’imputation » (sct. nir-vikalpa) sur l’objet mental pour que le phénomène se présente comme tel (sct. dharmata), une apparence mentale conçue co-émergente à l’aptitude conceptive (cognitif) que l’on nomme « esprit » (tib. rik paï sèm). Ainsi, par cette co-émergence esprit/phénomène, ce serait pure fiction d’envisager trouver quelque chose comme étant un phénomène et quelque chose comme étant un esprit. Leur co-émergence exprime une nature phénoménale dans le déploiement d’une relativité plénière.

Esprit/phénomène se présente comme un continuum transitoire

Cette saisie imputative est induite par le facteur mental "soif" qui, conditionné par l’ignorance, appréhende l’absence de réalité comme annihilation[10] et anéantissement[11]. Cette appréhension n’aurait pas lieu d’être si nous n’étions pas dans l’ignorance de la nature du phénomène et de l’esprit. Par vide d’une réalité imputée, il faut comprendre que le phénomène n’est pas altéré par nos imputations. Restant indemne à toute imputation, à leur émergence, le phénomène reste une conception naturelle dont nous pourrions avoir tout le loisir d’en jouir en toute Intelligence[12] si l’ignorance, la soif et la saisie n’en perturbaient pas la perception.

 

Les quatre yogas

En ce qui concerne les quatre yogas, ils sont présentés avec l’idée d’une progression où chaque yoga se compose lui-même de trois étapes. Présenter une graduation est certes une aide très utile pour comprendre les phases de la voie graduelle et d’en évaluer la progression, cependant il suffit que vous soyez dans des conditions favorables pour qu’une brèche de lucidité viennent à laisser apparaître un aspect d’une étape supérieure.

Quand on dit cela, rien n’est résolu pour autant. La difficulté c’est de mettre à l’esprit les bonnes conditions qui vont évacuer les mauvaises conditions. Pour cela, on ne doit pas se contenter d’une nomenclature de termes et de citations. Il est nécessaire d’avoir le sens de ces termes et surtout d’avoir une description de leur activité à l’esprit.

Si l’on a bien en Vue l’objectif de notre contemplation et que l’on ait été informé à l’avance des processus qui peuvent se dérouler, alors rien ne se passera en l’esprit sans que l’on ne puisse le savoir puis valider la Vue théorique qui nous a été transmise.

Pour cela, en ce qui concerne ces trois facteurs mentaux – discours mental, imputation et élaboration – et de leur rapport avec les étapes des quatre yogas, tout en me basant sur les instructions orales et scripturaires que j’ai reçu, je vais faire part des fruits de ma réflexion et de mon expérience et les soumettre à vos propres réflexions et expériences.

 

Discours mental

Il ne faudrait pas penser que l’on puisse vivre sans discours mental ou que l’on puisse accéder à un état définitif sans discours mental. Avec cette attitude et cette motivation, c’est mal commencer la voie de la contemplation bouddhique qui consiste à reconnaître la nature du phénomène et de l’esprit. Le discours mental n’est pas à bannir en tant que tel mais quand il nous submerge on ne peut pas dire que l’on soit dans les meilleures conditions pour reconnaître la nature du phénomène et de l’esprit.

Le discours mental est le fait de se parler à soi-même qui, en soi, ne devrait pas poser de problème mais, du fait de l’ignorance, la soif en la faculté sensorielle mentale[13] instaure un langage discursif binaire. La soif dont il s’agit ici est "la première des trois soifs" [14]. C’est une soif instinctive et rudimentaire qui s’exécute à l’instant d’une faculté sensorielle qui aspecte le phénomène. Ainsi, en l’expérience sensorielle, cette "première soif" valide l’objet sensoriel comme altérité (tib. shèn nyi) permettant à la "deuxième soif" de valider une identité au sujet.

Ce fonctionnement est flagrant quand survient une distraction pendant la méditation. La distraction survient lorsqu’un objet, autre que celui de notre concentration, a eu un pouvoir d’attraction pour x-raisons et nous fait perdre de vue l’objet sur lequel on s’était décidé de se concentrer sans discontinuer. Si l’on a gagné un peu en limpidité d’esprit, on peut se rendre compte de cette navette mentale où l’on va chercher "à l’extérieur" ce qui nous paraît être, par exemple entendu, puis se ressentir comme destinataire pour valider : « quelque chose - moi – entendre ». Cette validation n’a pas le pouvoir de faire satiété (satisfaction) à cette soif qui est constamment relancée instant après instant parce qu’elle est construite sur une fiction. En maintenant une concentration continue en un point (objet) sans aucune distraction, "l’entendu" (le son), épargné de la saisie d’altérité, se révèlera son/vide co-émergent à l’esprit même.

L’effort de "concentration" ne doit pas devenir une attention crispée qui s’apparente à une "autosurveillance de soi-même" que j’interprète comme une intervention intempestive et intrusive du surmoi. Cette autosurveillance ne va pas manquer d’élaborer des préjugés sur la méditation et ses bienfaits ou sur l’attitude du "bon méditant". Pendant ce temps, l’objet de concentration nous échappe. C’est en rapport à cette autosurveillance sur sa personne que Soukhasiddhi préconise avec insistance de « ne pas méditer, ne pas méditer », parce qu’on oublie qu’il s’agit d’explorer la nature de l’esprit et non pas de se préoccuper de sa personne.

Restons factuel, dès lors que l’objet n’est plus présent à la conscience il y a distraction et cette distraction se présente généralement comme une divagation où l’on fait intervenir des faits du passé ou des projets du futur ou le fait d’être distrait ou sur ce qui nous a distrait.

L’intérêt d’une concentration déterminée en samatha et de maintenir suffisamment longtemps l’objet à la conscience c’est que cela va entraîner un suspens de cette soif qui fait que le sujet égocentré cesse d’interférer. Il y a comme un oubli du "je" et oublier d’avoir toujours quelque chose à redire. Finalement, le discours mental s’estompe de lui-même parce qu’il est de nature mentale et qu’il s’efface devant la logique imparable de la concentration uni-orienté sur le même objet. Ce répit de discours mental permet d’avoir une observation plus limpide et de faciliter le discernement en vipassana[15].

Pour cela il faut générer un effort juste[16] et endurant de concentration en un point (sct. ekāgratā) qui fera en sorte qu’aucune distraction ne puisse l’interrompre et que cette ininterruption aboutisse en un samādhi que l’on nomme « ānantarya samādhi) » où il sera possible au phénomène (sct. dharma) de se présenter dans son excellence (sct. agra) un phénomène comme tel (sct. dharmata). Ce samadhi est la porte d’entrée au chemin de la vision avec la possibilité d’obtenir la 1ère Terre de Bodhisattva.

Nous connaissons bien l’exemple du verre rempli d’eau mélangée à de l’argile. Tant que l’on bouge le verre, l’eau et l’argile, ne pouvant être discernées, nous ne reconnaissons pas la nature de l’eau. Une fois le verre posé, commence un processus de décantation qui finira par nous révéler que l’argile était adventice à la nature de l’eau. La concentration continue permet de donner du temps à ce processus de décantation, ce qui va entraîner l’enstase (sct. dhyana, tib. sam-tèn).

Maintenant si l’on est plus habile dans l’analyse de nos expériences, le discours mental peut être simplement appréhender pour ce qu’il est, c’est-à-dire comme un phénomène mental parmi d’autres, ce qui permet d’aborder vipassana sans la surcharge d’un effort frontal contre l’idée que l’on se fait de « s’entendre discuter ».

Le discours mental n’est pas, à vrai dire, un problème en soi et je peux très bien envisager qu’un arhat, un bodhisattva ou un bouddha n’en soient pas privés et qu’ils puissent en faire usage dès lors qu’ils ne décident pas d’être en enstase. Le problème c’est quand le discours mental est sous l’influence de la saisie imputative et de la soif discriminante et quand il est chargé de schémas, de projections, d’imaginaire et autres fictions...

Quand on s’engage dans la voie du Sahaja/mahāmoudra, il ne faut pas commencer à se plaindre de ne pas arriver à méditer. Milarépa dit à un de ces disciples : « il n’y a pas de prétexte à ne pas faire mahāmoudra ». Oubliez les petites satisfactions du tant recherché "calme mental". La concentration contrarie les manœuvres de cette soif et l’enstase nous permet d’en être le témoin inaffecté. La concentration contraint du même coup la soif et les processus de la saisie imputative à se dévoiler. La véritable sérénité c’est de savoir que l’on peut compter sur l’analyse et le discernement quoi qu’il advienne à l’esprit.

 

1er yoga du sahaja-mahāmoudra – Tsé tchik[17]

Le 1er yoga du sahaja-mahāmoudra commence quand l’imputation mentale est constatée et finit à la « cessation de toute nouvelle imputation ».

Il est de coutume de présenter "tsé tchik" comme étant uniquement la caractéristique d’une concentration en un point. Par contre, si l’on veut mettre en avant la Vue sahaja, ce "point unique" consiste à mettre en commun un même et unique point pour, à la fois, la concentration et l’analyse.  Ce point unique, susceptible de conjoindre[18] les bienfaits de samtèn (sct. dhyana) et de shérab (sct. prajñā) dans un objectif spécifiquement bouddhique, est la « Vue de la vacuité » qui peut se décliner selon les contextes par exemple en vingt vacuités[19] ou bien en trois absences[20] ou bien encore en trois co-émergences[21].

Par cette conjonction, il n’y a pas lieu de prendre appui sur l’ensemble des "neuf étapes du sentier de samatha". Personnellement, cette conjonction en un "point de vue unique" a toutes ses chances d’aboutir dès le "placement parachevé"[22] quand la vigilance est certaine de la Vue et que l’on ne tergiverse pas dans l’intervention du rappel.

Ce 1er yoga du Sahaja/mahāmoudra signifie donc la conjonction d’un seul et même objet permettant de stimuler deux aptitudes naturelles de l’esprit que l’on nomme samatha et vipassana.

Si l’on comprend les vertus de cette conjonction, toute expérience qui émerge à l’esprit peut être considérée comme objet d’une concentration discernante que ce soit une expérience de compassion, de félicité, de clarté ou d’a-conceptualité mais aussi de colère, de torpeur, de discours mental, ou que ce soit l’émergence du "moi" ou de "l’autre" etc. Tout sera prétexte à la Vue sahaja afin d’empêcher toute imputation et réaliser la première des trois co-émergences :

« Apparence et vide co-émergent ».

 

Imputation

Comme cela a été abordé supra, l’imputation (sct. vikalpa[23], tib nam tok) désigne un moment imaginaire (sct. kalpa) qui prend pour réel l’aspect (sct. vi, tib. nam). La saisie imputative est l’exécutif de la soif dans sa tentative de s’assurer une réalité en toute manifestation. Conséquente à l’ignorance et à la soif, la saisie imputative interfère à l’instant conceptif[24] (sct. kalpa) où le phénomène (sct. dharma) s’aspecte (tib. nam) en vertu de la nature dépendante[25], relative. Cette interférence empêche la "science toute ordinaire"[26] de savoir la nature du phénomène comme tel (sct. dharmatā) c’est-à-dire une apparence mentale s’aspectant.

Cette interférence, qui rejette toute relativité à l’aspect, produit la fiction dont on est dupe depuis des temps sans commencement. C’est vraiment une aberration qui dépend d’une inadvertance à chaque instant du continuum cognitif qui se fait dans la précipitation de la soif trop inquiète de saisir une altérité à l’objet pour s’assurer d’une identité au sujet. D’où l’importance de la concentration qui permet de laisser à l’objet pensé (tib. sam) une pose temporelle (tib. tèn).

Stabiliser (tib. tèn) le temps cognitif sur un même objet pensé (tib. sam[27]) produit une enstase (sct. dhyāna, tib. samtèn). Cet enstase (tib. sam-tèn, sct. dhyana) se présente comme un poste d’observation contemplative qui, à l’appui d’une Vue parfaitement comprise, profite au discernement d’une science (sct. jñā, tib. shé) qui devance[28] (sct. pra) toute imputation.

Pour que la conjonction[29] de l’enstase et du discernement soit la plus efficace, il faut que la concentration et la contemplation se partagent le même objet, celui spécifique à toutes les voies directes : la Vue. La Vue devient l’objet de concentration qui conduit à l’enstase et l’objet du discernement contemplatif qui conduit à prajñā. C’est joindre la méthode et la sagesse. La complicité de samtèn et shérab va contrecarrer la saisie imputative qui finalement va révéler le jeu de la soif discriminative et son impact sur notre devenir.

En s’exerçant à la conjonction de l’enstase et du discernement vient progressivement la capacité d’être un témoin inaffecté de ces interférences et d’en délivrer l’esprit jusqu’à la « cessation de toute imputation »[30] (sct. nirvikalpa, tib tok ). L’objet ne sera plus appréhendé comme altérité et cessera l’identification d’un "connaisseur" comme étant le destinataire d’un "connu" advenu à quelque chose comme étant de la "connaissance". « Ces « trois cercles libre d’imputation »[31] se révèlent comme étant vides de nature propre[32].

L’objet est reconnu comme phénomène sous un aspect libre (tib. nam dreul) attesté en con-science aspective (sct. vijnana, tib. namshé) sensorielle[33] et rendu loisible aux cinq intelligences.

Ce concept d’imputation est la clé pour comprendre la Vue sahaja de la co-émergence. Ainsi, la voie du Sahaja consiste à « é-vider » l’aspect (tib. nam) de notre imputation pour que le phénomène puisse se présenter en toute é-vidence » un phénomène[34]c’est-à-dire l’aspect d’une apparence manifestement conçue, imagée et relative et donc sans nature propre. La première co-émergence consiste à libérer les aspects (tib. nam dreul) des imputations (tib. nam tok). La cessation des imputations permet alors de juste jouir des six aspects sensoriels en toute con-science[35] (sct. vi-jnana, tib. nam-shé).

Laisse aux apparences le sens d’apparaître.

Laisse à l’esprit le soin de concevoir.

Sans élaboration, reste en cette loisible é-vidence.

 

Ces imputations ne s’annoncent pas comme telles. Elles se devinent plus aisément à travers les  (sct. Duḥkhita) que nous rencontrons dans notre effort de concentration comme l’agitation, la torpeur, la tension, l’excès d’antidote ou dans les divagations d’élaborations (sct. prapañca, tib. treu pa) plus subtiles. Quoi qu’il en soit, on doit s’en tenir à considérer tout ce qui se présente comme phénomène, puis appliquer la Vue en concentration et en contemplation. La co-émergence d’apparence/vide s’imposera évidente.

À l’instant même où l’objet/aspect est délivré[36] de cette saisie imputative, l’apparence apparaît dans sa nature d’apparence sous ces trois modes. C’est le sens de la première assertion du Sahaja : « apparence et vide (d’imputation) co-émergent ». En conséquence, l’objet/aspect se révélant de nature inconditionnée, ce qui lui vaut de se présenter objet et que l’on appréhende comme "connaissance en soi" ne peut elle-même être imputable d’aucune réalité propre. Ce qui fait dire qu’il n’y a pas quelque chose comme étant l’esprit… C’est le sens de la deuxième assertion du Sahaja : « connaissance et vide (d’imputation) co-émergent ».

 

2e yoga du sahaja-mahāmoudra Treu

Le 2e yoga du sahaja-mahāmoudra commence quand l’élaboration[37] mentale est constatée et finit à la « cessation de toute élaboration[38] mentale » quand se réalise la deuxième des trois co-émergence :

« Science et vide co-émergent ».

 

L’élaboration mentale

L’élaboration mentale n’est pas à proprement parler le discours mental où l’on se sent parler à soi-même et auquel on se confronte pendant l’effort de concentration et qui empêche l’enstase (sct. dhyana, tib. samtèn). À ce niveau du 2e yoga, l’enstase est bien établi.

L’élaboration mentale n’est pas discursive mais elle est cependant un élément de langage[39] qui est celui de l'imaginaire au sens d’une fiction[40] due à la soif et à la saisie et qui rassemble schémas, stéréotypes, catégories, croyances, phantasmes etc. L’élaboration imaginaire infuse son langage subliminal dans les fonctions du verbe[41] déployant la confusion dans toute l'activité karmique des cinq processus cognitif (agrégat) flouant nos impressions, altérant nos perceptions et distordant nos réactions émotionnelles.

Ici, on aborde les arcanes de l’imaginaire où s’élaborent toutes les associations affectives engrangées dans notre patrimoine psychique de cette vie et des vies antérieures. C’est par ce processus que se font les empreintes avec plus ou moins d’impact et de persistance et qui façonne toutes les sphères d’expériences conditionnés[42] par les illusions conséquentes de l’ignorance, de la soif et de la saisie.

Alors que les imputations opèrent au niveau de l’agrégat perception quand celui-ci est sous l’influence de la soif discriminative, les élaborations imaginaires se façonnent au niveau de l’agrégat sensation quand celui-ci valide comme fondé la moindre impression à laquelle on agrée ou désagrée. Cette validation de l’impression incite la perception d’imputer à l’objet/forme la caractérité d’être agréable en soi ou désagréable en soi et de justifier à son égard une réactivité d’attachement ou d’aversion : attachement qui obstrue l’intelligence naturelle du désir et aversion qui obstrue l’intelligence naturelle de la répulsion (cf. Les cinq Intelligences).

S’affranchir de nos élaborations imaginaires demande une extrême habilité. L’erreur la plus fréquente c’est de provoquer une inertie (sct. acala, tib. mi yo oua) de l’agrégat sensation qui se fait quand on s’attache aux samadhis du chemin de samatha. En l’empêchant d’agréer ou de désagréer, le processus cognitif est suspendu, un suspens karmique (tib. mi yo oua lés) qui ne laisse aucune forme émerger comme dans un film où l’image et la bande son se seraient arrêter. Se maintient alors un état a-conceptuel qui procure un bien-être pernicieux de félicité éternelle qui peut enclencher des propensions à renaître dans la sphère des « dieux ou déesses sans forme » c’est-à-dire sans agrégat forme. C’est l’impasse d’un autarcisme béat dans l’autosuffisance de soi où des individus qualifiés de "dieux" ou "déesses" vivent leur idyllique hallucination sans plus aucune perception temporelle[43], ce qui procure le sentiment d’éternité. Malheureusement, on ne peut pas maintenir longtemps la dynamique naturelle de la cognition (sct. tib. rik tsel) et leur phantasia va s’imploser sur elle-même donnant le sentiment d’une chute vertigineuse.

L’expression « dieux sans forme » pourrait nous faire penser que l’agrégat forme ait été amputé de leur esprit, ce qui est impossible. Il est simplement en suspens du fait de leur conception de bonheur. C’est pour cette raison que le Bouddha Shakyamouni a demandé de ne pas rechercher la paix en s’appliquant à la concentration sur le chemin de samatha. Nous devons être précis dans notre objectif et notre aspiration qui sont de réaliser la nature du phénomène et de l’esprit. Le chemin d’une concentration contemplative correcte nous offre des expériences de désillusions. Toute réalisation (tib. toks) s’accompagne de l’abandon (tib. pang) d’une illusion[44] ce qui permet d’user d’intelligence en cas de malheur comme en cas de bonheur.

 

Cessation de l’élaboration imaginaire

On pourrait penser que les imputations sont les racines de l’élaboration mentale et qu’en coupant les racines on cesserait du même coup la prolifération imaginaire, mais ce n’est pas tout à fait ce qui se passe. L’aboutissement du 1er yoga constitue la cessation de toute nouvelle imputation mais il reste cependant les imprégnations résiduelles (sct. vāsanā, tib. bag tchak) que provoquèrent nos imputations antérieures.

L’imputation agit sur ce qui "s’exprime à l’esprit" en prêtant à l’aspect de nature relative une réalité, une caractérité et une durée. Ces imputations "s’impriment à l’esprit" inscrivant dans l’imagination naturelle un imaginaire erroné et confus. L’imputation est comme l’impact d’une pierre à la surface de l’imagination et l’élaboration imaginaire est comme la propagation de l’onde perturbant l’entendement de la nature imagée des apparences sous tous ses aspects.

La saisie imputative sur l’aspect (sct. vikalpa, tib. nam tok) cesse à l’instant où l’on réalise la nature transitoire et relative (sct. paratantrasvabhāva, tib. shen ouang gui rang chin) de leur apparence manifeste, ce qui coupe l’intervention de la soif sur le domaine sensoriel des aspects[45] mais il reste la soif qui s’enquiert d’une essence (sct. svabhāva) à l’existence[46]. En maintenant la saisie d’une identité fictive sur sa personne et son moi, il reste tout le passif des interprétations et traductions confuses de nos expériences passées qui n’ont de cesse d’influer et d’affecter plus ou moins subtilement tout autant notre entendement que notre imagination.

Comme tous les facteurs mentaux qui obstruent l’activité naturelle (sct. karma, tib. trinlé) des cinq agrégats, l’élaboration mentale est conséquente à la saisie imputative, la soif discriminative et à l’ignorance de la nature du phénomène même (sct. dharmata, tib. tcheu nyi). En cela, elle est donc adventice et artificielle à la nature primordiale de l’esprit. Aussi, quand la part imaginaire de l’élaboration mentale se dissipe, cela n’entraîne pas la fin de l’imagination naturelle de l’esprit et le mode imagé[47] de l’apparence ne disparaît pas pour autant parce qu’il est inhérent à ce qui définit un phénomène ; une représentation, une apparence mentale.

Jamais l’esprit ne pense sans image[48] de sorte que sa faculté d’imagination conceptive fait que le phénomène qui en est conçu est une apparence mentale de nature triple : imagée, relative et manifeste. Si nous sommes dans l’ignorance de la nature du phénomène et de l’esprit, l’imagination conceptive est alors conditionnée par la soif discriminative et la saisie imputative produisant alors nos élaborations imaginaires[49]. En se libérant de la saisie imputative et en s’émancipant de la soif discriminative, l’imagination retrouve sa part imaginale c’est-à-dire comme étant le media privilégié pour « mettre en lumière » l’œuvre de l’invisible et inconcevable esprit[50]. 

 

Élaboration

L’élaboration mentale n’est pas discursive mais elle est cependant un élément de langage[51] de nature imaginaire, celui qui nous donne l’impression de « se faire un film dans la tête ». L’expression « dans la tête » est très significative lorsque l’on se sent submergé de pensées. Dans la configuration du corps vajra[52], la zone centrale du crâne est le siège d’émergence des formes[53] (phénomène) et du processus (agrégat) qui traite l’information avec plus ou moins de fluidité.

Ce langage imaginaire est la trame de nos conceptions erronées et affecte plus ou moins nos perceptions et nos intentions. L’incidence de ce langage imaginaire est de l’ordre de l’intuition, non pas celle qui inaugure le chemin de la vision[54] immédiate mais cette intuition qui relève d’une vague impression aux interprétations absurdes dont on se laisse facilement séduire quand réfléchir ou raisonner nous paraît fatiguant. Cette intuition est impropre à un éveil de la prajñā au sens où elle reste interprétative et assujettie à la soif.

Le lien conceptif entre impression et imaginaire est la base de toutes les sphères d’expériences possibles depuis les enfers des esprits hantés par la haine jusqu’aux mondes hallucinatoires des dieux et déesses imbus d’autosuffisance. Ce qui va déterminer le contenu de chaque scénario imaginaire c’est la perception que l’on a des impressions qu’offrent les expériences et la façon d’en tirer satisfactions pour se croire épargner d’insatisfactions, ce qui peut se résumer par la façon que l’on a de rester dupe de l’insidieux espoir/crainte[55] dans lequel nous enferme la soif d’existence.

L’espoir/crainte est le langage de cette soif et désigne un complexe d’activité mentale qui fonctionne sur un registre de croyance et de compensation établi sur l’auto-tromperie, l’auto-persuasion, l’autosatisfaction, par le simple fait que le type d’espoir en question se construit sur un déni de crainte. Or, il y a lieu de craindre notre ignorance et ses conséquences comme il y a lieu d’avoir espoir de s’en libérer. L’espoir se verra suivi d’une efficace intelligence si l’on établit clairement ce que l’on doit craindre pour son avenir karmique. 

 

Erreur et méthode

Le karma, c’est-à-dire l’activité causale, cohérente et conséquentielle entre les cinq processus cognitifs, va se retrouver, du fait de l’ignorance et soif, souillé de cet imaginaire viral. On peut très bien vivre son existence avec cet imaginaire sans jamais en prendre conscience. Cela n’empêche pas qu’il interagit en toutes nos relations avec le monde, avec autrui et avec soi-même et qu’il participe de nos pulsions comme de nos impulsions plus ou moins assumé et plus ou moins heureux selon l’épaisseur de nos illusions et notre capacité d’analyse.

L’élaboration mentale imaginaire se diffuse par les souffles de l’âme dans les rouages de la septième conscience qui se trouve donc mêlée au langage subliminal des identifications et des réifications qu’implique la soif [56] dont l’enjeu insoluble génère toujours plus de conditionnements et engrange des imputations toujours plus insidieuses au risque d’un imaginaire exacerbé et hors de contrôle pouvant faire perdre toute rationalité et causer à l’extrême des psychopathologies graves.

La septième conscience est la conscience mentale[57] (sct. mano vijñāna) qui d’ordinaire est affectée de distorsions émotionnelles (sct klésha) mais elle est celle également qui en sera délivrée. En effet, c’est en son domaine psychique que s’opèrent tous les bénéfices de la méditation. Les six consciences sensorielles aspectives (sct. vijñāna, tib. nam shé) n’ont pas particulièrement besoin de purification. Il suffit d’éviter toute imputation sur l’aspect qui se présente pour que leur faculté respective s’avère plénitude et joie. D’autre part, la huitième conscience[58], la conscience base toute (sct alayavijñāna), est de fait primordialement indemne et immaculée (sct. amalavijñāna).

C’est donc par la pratique de la méditation que l’on peut accéder à ce langage imaginaire autant pour le déjouer que pour en jouer. Je rappelle ici que « méditation » suppose que l’on conjugue méthode et sagesse.

 

Erreur

L’imputation me fait rater ce moment d’évidence simple où le phénomène est susceptible de se montrer comme étant un phénomène[59] : le dharma (tib. tcheu) s’avère dharmata (tib. tcheu nyi).

De la même manière qu’à la suite d’une vague j’en déduit un océan, à la suite du phénomène j’en déduit "penser" mais l’élaboration mentale me fait rater ce moment d’évidence simple où l’esprit est susceptible de se montrer comme espace concepteur[60] d’un mode phénoménal : dharmakaya[61].

L’inadvertance de chaque instant me fait rater ce moment d’évidence simple où la co-émergence phénomène/esprit est susceptible de se montrer sans distinction de cause et d’effet : déploiement de relativité pleinière [62], dharmadhātu.

 

Quand on avance dans le yoga contemplatif, la conscience s’en trouve plus ouverte avec une plus grande sensibilité. Pour peu que l’on soit enclin au contentement et bien-être plutôt que de privilégier la lucidité, cette sensibilité peut nous entraîner dans les phantasmes que peuvent susciter des concepts comme : vacuité, claire lumière, bouddha, dharmakaya, bénédiction, mantra secret etc. Lorsque s’opèrent quelques obtentions (sct. samāpatti) et cessations (sct. nirodha, tib. gok pa) lors de certains samadhis qui ne résultent pas de la conjonction de samtèn (sct. dhyana) et de shérab (sct. prajñā), l’élaboration imaginaire va insidieusement produire des impressions d’ordre certes intuitives et non discursives, mais elles ne sont que l’expression de notre autosuggestion et de nos phantasmes. L’interprétation de ces expériences mirobolantes laisse toujours transparaître l’idée d’une transcendance ou d’une essence subtile, d’un champ d’une réalité ultime, d’une sphère absolue à atteindre etc.

Ces élaborations mentales nous détournent du véritable objectif du Dharma qui est de reconnaître la nature évidente du phénomène et de l’esprit. Il ne s’agit pas d’un simple manque de concentration qui suscite une distraction et que l’on peut remédier par l’effort et le rappel. Ici, il s’agit d’une absence de compréhension et de discernement qui produit une divagation de l’esprit pouvant impacter notre devenir existentiel.

L’élaboration imaginaire fait obstruction à toute manifestation qui semble exiger un abandon, de cet abandon (tib. pang) qui est censé être suivi d’une réalisation (tib. toks)[63] et qui nécessite d’avoir dans ces moments-là un intellect bien entraîné (tib. lo djong) et un cœur sans zone d’ombre. Tant que la conception de la base[64] n’est pas conforme à la nature du phénomène et de l’esprit, la concomitance de "pang/toks" ne peut pas avoir lieu.

Le problème, c’est qu’on ne se voit pas rater un abandon et qu’on ne ressent pas d’obstruction parce que l’élaboration se poursuit en prenant tous les aspects d’une intuition mais dont l’interprétation est celui d’un témoin qui, alors qu’il n’a vu que l’ombre d’une personne, pense très sincèrement en décrire la silhouette.

 

Méthode

La méthode par excellence pour dissiper toute élaboration imaginaire est la voie directe du Sahaja-mahamoudra parce que c’est la voie qui prend pour méthode la sagesse elle-même.

Bien qu’elle soit qualifiée de directe cela peut prendre un certain temps avant d’y arriver parce qu’elle exige une grande dextérité pour passer d’une méthode comme cause d’une réalisation à une sagesse strictement exécutive d’une réalisation. 

1. L’approche analytique

L’approche du véhicule causal (mahayana) qui préconise le discernement analytique n’est pas négligeable. Celle sur les trois émergences[65] me convient bien et peut être une bonne introduction pour la compréhension d’une approche Sahaja. Elle est particulièrement efficace pour voir une élaboration imaginaire s’évanouir comme la buée sur une vitre. À l’instant même où l’élaboration mentale s’avère sans fondement (tib. chi mèd) ni racine (tib. tsa drel) elle cesse du même coup.

Dans l’approche du véhicule du fruit (vajrayana), nous avons à disposition l’approche tantrique et l’approche yogique.

2. L’approche tantrique

L’approche tantrique s’appuie sur la contemplation de divinité sur laquelle l’on doit impérativement appliquer la vue du Yidam racine[66] pour se protéger d’une approche déiste ou idolâtre. La méthode tantrique se trouve dans la phase de génération (tib. kyé rim) qui trouve son apogée en la phase de parachèvement (tib. dzok rim) quand la nature de clarté/lucidité, après cessation de toute imputation (sct. nir-vikalpa) » s’avère co-émergente à l’absence (vacuité) de réalité et de caractérité.

Le tantrayana est le véhicule qui fait tout particulièrement appel à l’imagination créatrice par le biais de la phase de génération pendant laquelle la Vue du Yidam racine et la reconnaissance pure de la symbolique vont permettre de dissiper les élaborations imaginaires. En effet, phantasmes, croyances et autosuggestions peuvent interférer pendant la phase de génération tantrique alors même que s’élèvent des expériences de clarté, de félicité ou d’a-conceptualité. Ces expériences s’accompagnent certes de sensations impressionnantes voire extrasensorielles mais tant qu’une expérience ne s’accompagne pas de désillusion c’est qu’aucune vacuité[67] n’ait été réalisée.

Renforcer la conjonction de concentration/discernement permet à l’imagination d’être génératrice d’une sagesse imaginale capable de pénétrer les arcanes des souffles où le symbole se révèle l’expression d’une aptitude naturelle de l’esprit.

Pour cela il est indispensable d’avoir acquis une conception précise de la Vue de la vacuité et de clarifier l’objectif bouddhique qui est de reconnaître la nature des phénomènes et de l’esprit et non pas de se faire faire des expériences.

3. L’approche yogique

Pour l’approche yogique, je pense que le yoga du rêve (sct. svapnadarsana, tib. mi-lam) et celui du "corps illusoire" (sct. mahamaya, tib. gyu lus) sont tout particulièrement efficace pour se dissiper de l’élaboration imaginaire.

Comme pour l’approche tantrique, ces deux yogas utilisent l’imagination conjointe à la Vue de la co-émergence. Que l’étude et la réflexion nous amène à comprendre la Vue est une chose, mais pratiquer consiste à se concentrer sur la Vue jusqu’à ce qu’elle se conçoive d’elle même libre de discours mental. Si la conception qui s’élève alors est conforme à la nature des phénomènes, la perception inhérente à la nature de l’esprit se « révèle en œuvre ».

Chacun des six yogas bouddhiques se pratique dans une situation précise. Par exemple, le yoga dit « du rêve » se fait quand on sent la torpeur où la somnolence nous prendre. Le yoga du rêve profite de ces moments d’hypovigilance où le mental est en mode « économie d’énergie ». C’est un moment favorable pour l’émergence d’images parfois avec des bribes de scénario. Lâchez  le « contrôleur égocentré » et ne commentez rien. Vous pouvez avoir confiance en la nature de ces images parce qu’elles n’ont aucune intention propre. Ce qu’on appelle « saisir le rêve » consiste à « prendre l’image en marche[68] » au moment où s’établit une compatibilité entre la conscience et la nature de l’imagination. Quand cela arrive, on ne sombre pas dans le sommeil, il est simplement "zapper".

N’oublions pas que toutes les pratiques ont pour objectif de reconnaître la nature des phénomènes et de l’esprit. Dans ce yoga du rêve, ce n’est pas le rêve lui-même qui nous intéresse ou de s’en souvenir quand on se réveille mais de reconnaître la nature co-émergente clarté/vide des apparences phénoménales qui s’élève à la conscience. Plutôt que yoga du rêve il faudrait l’appeler « yoga de l’imaginal » où la concentration sur la Vue consiste à se retrouver aux prémices de la conception[69].

4. Progression

Quand la Vue de la base est juste et parfaitement conçue, la vue du chemin de la méditation nous amène à constater les manœuvres de l’élaboration imaginaire. Prendre en flagrant délit ces manœuvres est un premier niveau dans ce 2e yoga du mahāmoudra. Il arrive aussi de voir quelques élaborations se dissoudre, ce quiest signification de leur véritable nature de concept/vide. Quand cesse toute élaboration, cela correspond à l’aboutissement de ce 2e yoga du mahāmoudra que l’on nomme évidemment « sans élaboration » (sct. niṣprapañca, tib. treu ou treu drèl).

 

3e yoga du sahaja-mahāmoudra Ro tchik

S’ensuit le 3e que l’on qualifie de "saveur unique" (tib. ro tchik). Cette "saveur unique" est celle de l’évidence de toute nature, celle de penser, celle de pensé, celle du pensant et qui font que les montagnes, les fleuves et la grande terre sont les montagnes, les fleuves et la grande terre[70]. Cela revient à réaliser troisième des trois co-émergences :

« Au contact d’apparence et science

L’expérience est félicité/vide ».

Les deux acquis précédents vont chacun être valider d’une expérience de "saveur unique".

1- D’avoir cesser toute imputation de s’ajouter à l’apparence, une "saveur unique" valide la manifestation phénoménale (sct. dharma) des cinq éléments (sct. bhuta, tib. djoungpo) comme l’universalité de leur co-émergence apparence/vide (tib. nam tong). Toutes les apparences ont pour seul sens d’apparaître sans que cela contrarie le déploiement de leur relativité transitoire qui offre la distinguabilité des aspects (tib. nam) et de leur con-science (sct. vijñāna, tib. nam shé). Cela peut être considéré  comme premier niveau de ce 3e yoga.

2- D’avoir cesser toute élaboration d’encombrer l’esprit, une "saveur unique" valide l’élément "esprit" (sct. dhatu, tib. kam) constitué des cinq agrégats comme la constante bienfaisance de la co-émergence science/vide (tib. rik tong). L’esprit a pour seul soin de concevoir dans la cohérence causale (karma) des cinq agrégats sans souillure. Cela peut être considéré comme deuxième niveau de ce 3e yoga.

Alors il n’est plus aucune obstruction aux cinq intelligences [71] qui, avec les cinq éléments et les cinq agrégats, représente le mandala de la co-émergence phénomène/esprit en le déploiement de la relativité plénière  du dharmadhatou en quelque bardo que ce soit et en quelque Terre que ce soit. Cela correspond à l’aboutissement du 3e yoga de la "saveur unique" qui valide l’intégration de la 3e co-émergence :

« au contact d’apparence et science,

l’expérience est félicité/vide ».

 

4e yoga du sahaja-mahāmoudra Gom

En conséquence de l’aboutissement du 3e yoga, s’ensuit naturellement le yoga de la non-méditation (tib. gom )  qu’il serait plus juste de nommer le « non-yoga ».

 

Les trois yogas qui précèdent sont, à proprement parler, le fruit d’une jonction (sct. yog, tib. djor) alors que le 4e yoga en est l’apogée qui se résume en la lettre sanscrite "a" de "yoga" (tib. nèl djor) et que les grammairiens tibétains ont traduit pas « nèl » signifiant « naturel », la naturelle nature du mandala co-émergent de phénomène/esprit.

Il n’est plus question d’étude ni de pratique. Le fruit valide la base primordialement pure de tout voile.

 

Dharmadhatou

Pour aborder les voies directes telles que Sahaja, Mahamoudra, Dzogtchèn, Zazen etc., il est très important de comprendre que réaliser la vacuité de nos illusions soulève des voiles et délivre (sct. vimukti) le fonctionnement cognitif/conceptif de tous les artifices, intox et confusions, sans annihiler l’efficience propre de l’esprit. La cessation d’imputation (sct ; nir-vikalpa) et l’éradication d’élaboration (sct. aprapañca) sont possibles du fait qu’ils sont des conditionnements dus à la saisie imputative, la soif discriminative et à l’ignorance et donc adventices à la nature du phénomène et de l’esprit.

Le dharmadhātou désigne l’apogée de cette délivrance où s’accomplit la totale absence de réalité tant sur le phénomène que sur l’esprit. Ainsi, quand l’élément dharma (phénomène), se trouve épargné d’imputation, se révèle la  loi sous laquelle se manifeste la nature phénoménale imagée et relative, la loi des cinq éléments. Quand l’élément dhatou, esprit, se trouve désencombré d’élaboration imaginaire, se révèle la loi sous laquelle s’effectue la nature conceptive insondable (tib. ying) et cohérente (karma), la loi des cinq processus cognitifs (agrégat).

Dharmadhatou se révèle alors comme le « déploiement de la relativité plénière », relativité qui est d’unique saveur du fait de son absence de réalité foncière et d’égale accueil au domaine infini des connaissables.

Dharmadhātou est synonyme de « mandala du phénomène/esprit ».

Dhātou (tib. kham) désigne l’élément d’effectivité, l’esprit (sct. citta, tib. sèm) en tant que faculté conceptive. Dhātou est le sixième élément, qui, en co-émergence aux cinq éléments de la manifestation phénoménale (sct. dharma, tib. tcheu), contribue à la cognitiion[72] (tib. rik), le fait d’avoir à connaître. En tant qu’élément, « dāthou » est traduit par le tibétain « kham », cependant « dharmadātou » peut être traduit en tibétain par « tcheu ying » où « ying » ajoute l’idée d’infinitude pour caractériser la sphère d’activité de l’esprit puisqu’elle ne peut être localisé.



[1] Phénomène (gr. phainomenon ; phanie) est bien entendu considéré ici dans son acception philosophique en tant que manifestation cognitive qu’il faut bien distinguer de l’acception scientifique de « phénomène mesurable » de l’ordre de la manifestation matérielle, biologique, météorologique, neurologique etc.

Dans ce texte, j’ai choisi de mettre « phénomène » au singulier. L’emploi du singulier me semble plus juste pour désigner une nature phénoménale de l’apparence mentale. En effet, Le continuum cognitif n’est pas constitué d’une succession de phénomènes. Il est de nature phénoménale (sct. dharmakāya) du fait que phénomène et esprit sont vides de nature propre de nature et distincte de la même manière que la nature co-émergente de vague/océan. Le continuum cognitif « phénomène/esprit" est une co-émergence de nature phénoménale et conceptive.

[2] À partir de l’ignorance fondamentale, s’ensuit la soif discriminante et la saisie imputative qui sont principalement les trois causes qui conditionnent l’ensemble du processus cognitif (les agrégats) que l’on nomme "esprit" (tib. sèm) et qui infléchissent ses facteurs mentaux (tib. sèm djoung). La co-émergence de sèm et sèm djoung, semblable à l’océan et ses vagues) constitue le processus mental que l’on nomme « agrégat samskara » (tib. du djé), l’activité (sct. kara) incessante d’émergence (tib. djoung).

Ainsi, s’il y a ignorance, l’agrégat samskara et tout le processus se trouvent conditionné et les facteurs mentaux qui s’ensuivent comme "naissance", "vieillesse" et "mort" seront entachés d’illusions.

[3] Dynamique (tib. tsel) est une épithète que l’on adjoint au fait de connaître (sct. tib. rik pa) mais qui peut se prêter à toute autre manifestation. Ici, par « cognition dynamique » ou « dynamique cognitive » on décrit le fait qu’aucun temps n’est laissé à l’apparence ni même à « l’esprit » de s’établir en un état ou une « chose en soi ». la co-émergence phénomène/esprit (pensé/penser) est un continuum phénoménal non né, incessant et sans demeure (temporelle), transitoire.

[4] Cognitif : qui concerne la connaissance. Cependant, il serait plus logique de dire "conceptif" puisque, par ignorance de la nature du phénomène, l’illusion consiste à considérer quelque chose de connu se faisant connaître à quelque chose comme étant de la connaissance. Or, le phénomène est une apparence mentale conçue.

[5] Référence aux cinq Intelligences : vajra, ratna, padma, karma et bouddha. Voir mandala de l’esprit.

[6] C’est également l’absence de caractérité (tib. tsèn nyi) et l’absence de naissance, de maintien et de cessation qui est une façon d’exprimer la nature transitoire de toute manifestation.

[7] Référence à l’échange entre Métripa et Saraha qui finit par répondre : « Le Mahāmoudrā est un nom que l'on donne au fait que tous les phénomènes se manifestant depuis l'origine sont au fond ce qu'ils sont. » Autrement dit, mahamoudra désigne le moment où le dharma s’avère dharmata (tib. tcheu nyi). (https://hridayartha.blogspot.com/2011/10/un-echange-entre-saraha-et-maitripa.html)

[8] L’idée de phénomène (gr. phainomenon ; phanie) s’oppose à l’idée de chose.

[9] L’imputation (tib. tok) désigne le moment imaginaire qui prend pour réel l’aspect (tib. nam). Ce "namtok" (sct. vikalpa) est malheureusement trop souvent traduit par "pensée" parfois par "concept". Voir "pensée et imputation".

[10] Réduire à l’inexistence toute manifestation, ce qui du fait même de la nature de toute manifestation est impossible.

[11] Réduire à l’inexistence tout devenir, ce qui du fait même de la nature de tout devenir est impossible.

[12] Référence aux "cinq dhyanis". Lorsque l’esprit est délivré des imputations, la nature des phénomènes (dharmata) se livre à la science (sct. jñā) par cinq Intelligences.

[13] À ne pas confondre avec la conscience mentale, celle qui d’ordinaire est affectée par les kléshas mais celle également qui en sera délivrée et que j’associe à la psyché et son processus logique.

[14] On parle généralement de trois soifs, mais il s’agit plutôt d’une seule soif qui opère sur trois domaines. 1. Le domaine sensoriel où la soif tente de valider l’objet des sens comme réel alors que c’est un phénomène mental ; 2. Le domaine du devenir existentiel où la soif tente de valider une identité intrinsèque au sujet alors que c’est un phénomène mental co-émergent à l’esprit ; 3. Le domaine le plus sombre et le plus énigmatique où la soif tente l’extinction de la conscience elle-même envisageant le néant comme l’ultime salut contre le mal-être existentiel. 

[15] Un effort juste (sct. saṁyak vyāyāma ) et endurant de concentration en un point (sct. ekāgratā) est indispensable pour qu’aucune distraction ne puisse l’interrompre et que cette ininterruption  aboutisse en un samādhi que l’on nomme « ānantarya samādhi) ».

[16] L’effort juste (sct. saṁyak vyāyāma) est le 6e branche du sentier octuple. Cf. Les quatre vérités des Nobles. « C'est vouloir avec persévérance les moyens de se libérer, c'est faire diligence et se montrer capable d'endurance, c'est toujours progresser sans jamais reculer ». Extrait tiré du Samyuktâgama sûtra.xh

[17] Le tibétain "tsé tchik" veut dire littéralement "point unique".

[18] Sct. yuganaddha, tib. zoung djouk.  Cf. Yuganaddha Sutta

[19] Cf. Les vingt vacuités de Candrakirti (cf Soleil de Sagesse)

[20] Absence de nature propre (sct. svabhāva, tiv. gno ouo nyi), absence de caractérité (sct. lakṣaṇa, tib. tsèn nyi) et absence de permanence.

[21] Co-émergence de clarté/vide (tib. sel tong), de cognition/vide (tib. rik tong) et de félicité/vide (tib. dé tong).

[22] Deuxième étape du sentier de samatha.

[23] Le préfixe sanscrit "vi" se retrouve aussi bien dans vikalpa que dans vipassana et vijñāna. Je dis « aussi bien » parce qu’il ne faut pas associer ce préfixe au fait d’une dualité comme certains traducteurs le pensent et qui les font traduire "vijñāna" par "conscience dualiste" à quoi je préfère "conscience aspective" et plus précisément "science aspective" dans le sens où la science est omni-disponible à toutes les distinguabilités des connaissables en quelque monde ou bardo que ce soit. Cette dite "dualité" n’est heureusement pas le fatum d’une conscience. Elle le fait de l’ignorance et de la soif qui produisent une saisie imputative qui appréhende comme étant dissociés l’aspect et la science (sct. jñā, tib. shé) et aspect (tib. nam) ce qui par nature est indissociable et co-émergent.

Ce préfixe "vi" correspond au préfixe latin "dis" que l’on retrouve aussi bien dans "discrimination" que dans "discernement" (sct. vipassana) et "discours ».

[24] Voir note 2.

[25] Sct. paratantrasvabhāva, tib. shen ouang gui rang chin.

[26] En sancrit prākṛta (tib. tha-mèl) a le sens de : original, naturel ; originel, primitif ; inaltéré. Gampopa dit : « lèn tchik kyé pa ni tha mel gyi shé pa » : la co-émergence est conscience toute ordinaire…

[27] Le tibétain "sam" veut dire "pensé".

[28] Le sanscrit "pra" pf. vers l'avant, au début de, en avant de, partie principale de | très, intensément; en excès | marque la première étape d'une action || gr. προ; lat. pro.

[29] Sct. yuganaddha, tib. zoung djouk. 

[30] Cessation que je suis tenté de rapprocher de l’époché.

[31] Tib. khor soum nam par mi tok pa.

[32] Sct. svabhāvas, tib. rang chin

[33] L’école philosophique Yogāchārya évoque parfaitement cette notion avec l’expression Vijñāptimātra (tib. nam-par rik tsam-nyi) composée de vi + jñāna + āpti + mātra qui donne : science + aspect + aptitude + juste et que je traduis par « juste l’aptitude d’une science avec (con) aspect ».

[34]  Référence à l’échange entre Métripa et Saraha qui finit par répondre : « Le Mahāmoudrā est un nom que l'on donne au fait que tous les phénomènes se manifestant depuis l'origine sont au fond ce qu'ils sont. » Autrement dit, mahamoudra désigne le moment où le dharma s’avère dharmata (tib. tcheu nyi).

[35] Sct. vijñapti-mātra : « juste l’aptitude de con-science aspective ».

[36] Tib. nam dreul.

[37] Sct. prapañca [pra-pañca] (tib. treupa) : expansion, développement, manifestation | diversité ; amplification, diffusion, abondance, densité ; profusion | manifestation. (Dictionnaire Héritage du sanskrit de Gérard Huet).

Bien qu’il soit convenu de traduire "treu pa" par élaboration, il serait plus significatif de traduire par l’infinitif "élaborer" qui rend mieux le sens d’une activité productive (sct. pra) d’un imaginaire distordu qui va se proliférer dans toute l’activité des cinq (sct. pañca) agrégats.

[38] En tibétain "treu " ou "treu drèl".

[39] Langage est pris au sens d’organisation du "penser/pensé" de la même manière que l’on parle d’un langage informatique qui organise l’émission et la réception de données.

[40] Cf. phantasia.

[41] Le verbe (logos) fait partie des trois instances (sct ; trikāya) constituant tout « être pensant » (tib. sèm tchèn: corps, verbe et esprit. Le verbe désigne l’activité qui coordonne trois fonctions, trois langages : communication, intellection et imagination. Entre le corps et l’esprit, le verbe n’est pas réduit à une activité infinitive, indéfinitive. Il se laisse fléchir à toute relation que je résume par « moi verbe autre », « autre » au sens de tout ce qui n’étant pas « moi » me donne à me penser « moi ». Je compare le verbe au sang qui transporte tout ce qui est vital à la bonne santé du corps mais qui peut aussi se retrouver à transporter des substances toxiques. Ainsi, le verbe véhicule tout autant de l’imaginaire que de l’imaginal.  La seule part de « réel » (cf. Jacques Lacan : réel, symbolique et imaginaire), qui s’illustre par son absence de réalité, sa vacuité, se trouve en l’évidence d’une co-émergence continuelle.

Dans la coordination des trois instances, c’est au verbe qu’il revient de faire usage (sct. sambhoga, tib. long tcheu) au mieux de la collaboration du corps et de l’esprit. Le verbe vajra désigne la nature immuable et primordiale de cette activité. Du fait de l’ignorance, de la soif et de la saisie, cette activité se trouve empêchée de rendre accessible la bienfaisance naturelle de la co-émergence du corps et de l’esprit.

À savoir qu’en tant qu’instance, le "corps" ne désigne pas le corps physique proprement dit mais une image mentale que l’esprit émane (sct. nirmana, tib. trul) en coordination avec la sphère d’expérience de quelque bardo que ce soit (bardo diurne, onirique, enstase contemplative, post mortem) ou en quelque renaissance que ce soit (des enfers jusqu’au monde des dieux) et en quelque plan de conscience éveillée que ce soit  (nirvana  ou terres pures). C’est cette image corporelle qui donne tout son sens à la contemplation tantrique du Yidam racine et yogique du Corps vajra.

[42] Tous les types d’existence qui recouvrent les quatre "continents" du samsara.

[43] On a du temps qu’une perception relative. Le temps est vide d’une caractérité absolue et universelle.

L’aperception temporelle est commune au monde des "dieux" comme au monde des enfers. Elle est caractérisée par une absence d’échéance et se traduit par un sentiment d’éternité.

[44] Cf. Pang Toks ( སྤངས་རྟོགས། )

[45] La « première des trois soifs ». Voir note 11.

[46] La « deuxième des trois soifs ». Voir note 11.

[47] Sct. parikalpitasvabhāva, tib. kun tak kyi rang chin.

[48] Cf. « l’âme ne pense jamais sans phantasma ». (Aristote)

[49] Il faut faire une distinction entre imaginaire et imaginal. L’imaginaire est la part non-vertueuse de l’imagination quand elle se trouve assujettie à la soif et à la saisie. L’imaginal est la part vertueuse de l’imagination qui a recouvrée le déploiement d’une conscience non-obstruée. Voir "le Rosaire de mots vajras".

[50] La contemplation soufie se présente sous trois aspects : épiphanie, archétype image et théophanie.

[51] Langage est pris au sens d’organisation du "penser/pensé" de la même manière que l’on parle d’un langage informatique qui organise l’émission et la réception de données.

[52] Le corps immuable est constitué des souffles (sct. vayou), de leurs trajets (sct. nāḍī) et de "pixels" (sct. bindou) en tant qu’éléments d’images. Les trajets qui assurent une cohésion sont comme les fibres optiques par lesquelles transitent la nature imagée. L’image qui vient à être con-sciente est l’instant d’un milliaflore dont la qualité et la pertinence du message dépendent de la bonne santé conjointe de l’émetteur/récepteur qui sont sous la compétence de l’esprit.

[53]  « Le latin forma, synonyme d’idea, provient, selon le Dictionnaire étymologique latin [Michel Bréal et Anatole Bailly, Éd. Hachette, 1885], de la même famille de mots que firmus (ferme), frenum (frein), fretus (appui, support). L’idée commune contenue dans ces mots est celle de « tenir ». Comparez avec le substantif français tenue. Ces mots latins sont issus de l’indo-européen commun *dher-[2] (tenir) qui donne le sanscrit धरति dharati (tenir) et धर्म dharma ....  » Extrait de wiktionnaire.fr :

[54] Les cinq chemins (sct. pañca mārga) : 1-

Chemin de l’accumulation (sct. saṃbhāra mārga). 2-Chemin de la préparation (sct. prayoga mārga). 3- Chemin de la vision (sct. darśana mārga). 4- Chemin du développement (sct. bhāvanā mārga). 5- Chemin au-delà de l’entraînement (sct. aśaikṣa mārga).

[55] L’espoir/crainte est le nom d’un seul facteur mental. L’espoir en tant que tel a la vertu de nourrir notre aspiration et la crainte en tant que telle a la vertu de stimuler notre vigilance.

[56] La soif du domaine du devenir existentiel où la soif tente de valider une identité intrinsèque au sujet.

[57] Je rapproche cette septième conscience à la psyché.

[58] Bien que l’on dénombre huit consciences et même neuf avec la « conscience immédiate », il n’y a qu’un seul continuum de conscience sous des rapports différents à la nature triple (sct. tri-svabhāva) du phénomène : 1- aspect relatif pour les six consciences sensorielles ; 2- la nature imagée pour la psyché ; 3- la nature parfaitement établie du phénomène comme tel (sct. dharmata) qui ne peut en rien souiller l’alayavijñāna.

[59] Référence à l’échange entre Métripa et Saraha qui finit par répondre : « Le Mahāmoudrā est un nom que l'on donne au fait que tous les phénomènes se manifestant depuis l'origine sont au fond ce qu'ils sont. »

[60] Je préfère le terme "concepteur" plutôt que celui de "créateur" que l’on retrouve par exemple dans la traduction du tantra « souverain créateur universel de tout phénomène » (sct. sarva dharma mahaśanti bodhicittakulayarāja, tib. ཆོས་ཐམས་ཅད་རྫོགས་པ་ཆེན་པོབྱང་ཆུབ་གྱིསེམས་ཀུན་བྱེད་རྒྱལ་པོ).

[61] Rien de réel venant à l’esprit, lui-même ne peut qu’être vide de nature propre (dhamakaya), ce qui rend possible le mode phénoménale (nirmanakaya) par lequel je me sais savoir et jouir en toute intelligence (sambogakaya).

[62] Pour évoquer le dharmadhātou je préfère parler de « relativité pleinière » plutôt que « d’un espace de réalité absolue ».

Le Dharmadhātu est constitué de six éléments : d’une part les cinq “grands éléments” (sct. Bhūta) qui participent de la manifestation du phénomène (sct. dharma) et d’autre part, le sixième élément “dhātou” qui désigne la sphère cognitive qu’est l’esprit même et qui s’organise en cinq processus (agrégat). 

Le Dharmadhātu désigne donc le système (mandala) cognitif naturel dans son ensemble, le mandala co-émergent de phénomène/esprit où les phénomènes sont “épargnés” des imputations (sct. vikalpa, tib. nam-tok)  et où les cinq égrégats de l’esprit sont eux-mêmes délivré (sct. vimukti) de toutes les élaborations et obstructions dues à la soif et à l’ignorance. Les phénomènes-mêmes (sct. dharmata) s’avèrent alors disponibles aux cinq Intelligences (tib. yéshé) relatives aux cinq dhyanas : vajra, ratna, padma, karma, bouddha.

Le Dharmadhātu ne s’expérimente pas ni ne se réalise comme étant une sphère de réalité absolue. C’est tout au contraire le déploiement de la relativité pleinière c’est-à-dire l’activité du mandala co-émergent de phénomène/esprit dans l’expression naturelle quinaire des éléments, agrégats et intelligences.

[63] Référence bien entendu au processus concomitant qui se dit en tibétain “pang/toks” (sct. hāna/adhigama) et se traduit par “abandon/réalisation, abandon d’une illusion et obtention d’une réalisation.

[64] La vue théorique de la base

[65] En tibétain, djoungné dro soum. Cette analyse consiste à investiguer sur l’origine, la demeure et la cessation de ce qui s’élève à la conscience. Aucune des trois émergences ne pouvant être trouvées, s’impose l’évidence d’une co-émergence d’apparence/vide.

[66] La Vue du Yidam consiste à ne pas appréhender pour réelle une divinité. Le sceau du Yidam est la co-émergence de clarté/vide..

[67] Dans "L’Entrée au Milieu" Chandrakirti énumère vingt vacuités (Éditions Dharma, Georges Driessens, pp. 316-336).

[68] Cette expression me semble plus proche du tibétain « mi-lam », « le chemin de ce qui advient ».

[69] Extrait du "Rosaire des mots vajras" : Le concept a une double nature : image et pensée.

1) La part “pensée” du concept permet de s’accommoder, interpréter, comprendre et organiser, avec plus ou moins de pertinence, à la nature conventionnelle et relative des manifestations. C’est une part indispensable et non négligeable de la cognition mais qui a ses limites quand il s’agit de reconnaître le lien (tib. dam) à la nature primordiale (tib. yi).

2) La part “image” fait appel à un langage subtil que j’appelle le « verbe premier ». Il se rend visible sous les traits du rêve, de l’imaginaire, du phantasme, de l’hypnose, sous psychotrope ou encore lors du bardo post mortem.

Il faut bien faire la distinction entre “concept” et “imputation” (sct. vikalpa, tib. nam tok). À l’instant du contact de l’aspect (forme) et de l’expérience (sct. vedanā, tib. tsor oua), le concept qui en ressort n’étant pas reconnu comme apparence vide (sahaja), la soif  génère une saisie pour valider (sct. kalpanā, tib. tok pa) l’aspect (tib. nam) comme l’information d’une réalité objective, l’imputant (tib. nam tok) ainsi d’une altérité. Kalpanā est cette fixion artificielle faite sur un aspect naturellement conçu.

[70] Cf. La voix des vallées, les formes-couleurs des montagnes (Keisei-sanshoku).

[71] Les cinq éléments, les cinq agrégats et les cinq intelligences représentent

[72] Dans son « ngo treu », Soukhasiddhi emploie l’expression « rik tché sèm », littéralement « esprit accompagné de cognition ». Autrement dit « concevoir fait connaître «  et qu’il n’y a pas de connu qui ne soit pas conçu.